[Fic' terminée] Online

Chapitre 5 : Aveux nocturnes


03h59. Accoudé à la table du minibus, assis à l’endroit où se tenait Andreas quelques heures plus tôt et les yeux rivés sur son portable, Bill voulait voir l’horloge numérique passer à 04h00. De toute manière il n’avait que cela à faire. 04h00. Il jeta un coup d’œil dehors : l’autoroute était presque déserte. Le bus filait à une bonne allure, ne lui laissant pas même le temps de savourer un peu le paysage nocturne qui s’étendait au-delà des voies. Les prés se succédaient à toute vitesse. Ils étaient vides. C’était beau un pré vide. Ca lui permettait d’oublier qu’il avait commis l’erreur de sa vie en envoyant Andreas rencontrer Julia à sa place.
Et voilà, il y était de nouveau en train d’y repenser. Mais un petit son provenant de son laptop le ramena à lui.


JuLiA vous a envoyé un message instantané
Accepter Refuser

Il ne contrôla pas un sourire en voyant son nom et accepta.

JuLia > Coucou hairboy ! Le blond platine te va délicieusement bien ! Devine à quoi je pense ?
Thomas > …
Thomas > A tout à l’heure ?
JuLia > Trop facile …
JuLia > J'ai déjà hâte d'être à la prochaine fois !
JuLia > Ecoute Thomas, j'ai aveu à te faire.

La respiration de Bill s'intensifia. Pour la première fois, il se rendait compte à quel point le fait qu'elle ne l'appelle pas par son vrai nom était détestable. Pour la première fois, il ne voulait pas qu'elle se livre à lui, car la vérité qu'il avait tant cherché à dissimuler était trop difficile à lire.
Pourtant tout écait calme autour de lui. Un sentiment étrange l'envahit, comme s'il savait que c'était le bon moment pour mettre les choses à plat.

Thomas > Moi aussi j'ai un aveu à te faire.
JuLiA > Lol ... Bon, toi d'abord. Parce que je te préviens, je me déconnecte aussitôt que je t'aurai fait le mien !

Bill ne put s'empêcher de sourire. Julia avait du caractère. Non, elle le caractère qui l'avait fait succomber à son charme de femme-enfant insouciante et savourant chaque instant que lui offrait la vie. Pour la première fois, il s'avouait aussi qu'elle avait réussi à l'ensorceler, et que pris dans ses filets, il était à sa merci. Il ne savait pas si c'était de l'amour, ou juste des sentiments, ou même de l'attirance, mais il ne pourrait pour rien au monde vivre sans elle, et le bonheur qu'elle mettait dans sa vie.

Thomas > Je n'ai pas vraiment envie de commencer non plus en fait ... On peut l'envoyer en même temps si tu veux ?
JuLiA > Okay.

Il commença à griffoner des mots, des ébauches de phrases. Peu à peu, il retraça l'histoire telle qu'elle aurait vraiment due l'être, ses mensonges, ses décisions, son intermédiaire, son vrai nom ... A mesure qu'il écrivait, sa gorge se serrait, prenant conscience de l'ampleur de ce faux-semblant qu'il avait bâti depuis de longs mois.

JuLiA > Ready ?

Thomas > Oui

Thomas > je t'ai menti. Je m'excuse. Je t'ai menti sur toute la ligne et je m'en veux si tu savais ! En fait, je ne suis pas celui que tu crois. Enfin si, mais pas totalement. Le soir où on s'est parlé pour la première fois, quelque chose est mort en moi, un sentiment de solitude qui rythmait mes jours et mes nuits. T'es entrée dans ma vie par la grande porte et je ne t'en remercierai jamais assez ! Mais je ne pouvais pas tout te dire, et tu comprendras pourquoi. Je ne m'appelle pas réellement Thomas, et je ne suis pas non plus technicien pour le groupe Tokio Hotel. Mais à mesure que nous nous sommes liés je n'ai pas pu faire marche arrière, parce que j'avais trop peur de ta réaction. Je suis lâche, tellement lâche que j'ai même envoyé mon meilleur ami te rencontrer à ma place. Mais dans mes mails je ne t'ai jamais menti sur ce que je vivais, ce que je ressentais. Je l'ai simplement détourné. J'espère que tu me pardonnes et que tu es prête à connaître physiquement mon vrai moi ...

JuLiA > Le soir où on s'est parlé à l'hôtel j'étais dans un état pitoyable. J'avais laissé passer le boulot de ma vie à cause d'un con que j'ai failli envoyer en l'air parce qu'il s'était évanoui sur la route, j'avais reçu le matin même une lettre de ma proprio me disant qu'elle ne renouvelait pas mon bail, je venais de rompre avec mon ancien copain et on en était venus aux mains ... J'étais amochée, j'avais mal. Et toi t'arrives comme une fleur et tu débarques dans ma vie sans prévenir. Et tu m'as embarquée avec toi sur les routes de ton groupe, je ne me sentais plus seule, j'avais l'impression de t'avoir avec moi partout où j'avais. Pendant des mois, chacun de tes messages m'a attirée un peu plus vers toi. Quand on s'est vus, même si tu semblais différent, j'ai bu l'un des meilleurs cafés de ma vie, parce que je l'ai bu avec toi. Le truc Thomas, c'est que je crois que je suis dingue de toi.

Bill se laissa tomber contre le dossier du sofa. Son coeur battait plus fort que jamais, et un sentiment de plénitude et de culpabilité l'envahissait entièrement. Vide. Il se sentait une coquille vide. Son message tombait vraiment mal, il n'aurait jamais dû écrire ça. Elle n'aurait jamais dû écrire ça non plus. Ils étaient liés l'un et l'autre par amour et mensonge, et tout le monde sait que les deux ne font jamais bon ménage. Il n'osait plus rien répondre, attendant son jugement. Il aurait pu encore une fois faire preuve de lâcheté en se déconnectant, mais il ne voulait pas se cacher cette fois ci.

JuLiA > QUOI ?

JuLiA > C'est une blague ?

JuLiA > Thomas, mais c'est quoi ton délire, là ?

JuLiA > Enfin Thomas, ou Samuel, ou John, ou Steve, puisque je ne connais même pas ton vrai nom !

JuLiA > Qu'est ce que ça te ferait si je te disais que je t'avais menti sur toute la ligne ? Comment tu le prendrais ? J'ai bâti des sentiments sur du rien alors ? Sur du néant ?

Thomas > Bien sûr que non ! Je ne t'ai pas menti sur ma personnalité. C'est moi qui t'écrivais !

JuLiA > Non. Tu existes peut-être, mais Thomas portant ta personnalité et le visage de ton meilleur ami, lui il n'existe pas. La personne avec qui j'ai partagé un bout de ma vie pendant des mois n'existe pas.

JuLiA > Et là, je parle à qui alors ... Thomas ? Le Sans-Nom ? Le meilleur ami ?

JuLiA > Je me demande bien quel genre de personne tu es pour te cacher derrière une invention. J'aimerais savoir, mais je suis trop dégoûtée pour avoir envie de percer le mystère, là, tout de suite.

Thomas > Mais il y a un truc que je ne t'ai pas dit. Toi aussi tu ne m'as pas laissé indifférent.

JuLiA > J'en ai plus rien à foutre. Je me suis entichée d'un mort, ou d'un inexistant, ou appelles ça comme tu veux.

JuLiA > J'vais te laisser, j'ai une boîte de mouchoir à descendre. Bonne nuit.

"Génial. Vraiment génial. T'as tout gâché, mais avec classe Billou, se dit-il à voix haute, tu peux être fier."

Mais il n'avait récolté que ce qu'il avait semé. Et puis, si l'on partait du principe qu'il avait touché le fond, il ne pouvait que remonter. Du moins, si elle lui répondait un jour ...

BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip BipBip … Bill donna un violent coup à son réveil qui cessa instantanément de sonner. Allongé sur sa couchette les yeux grand ouverts, encore habillé et n'ayant même pas pris la peine d'enlever ses chaussures, il constata avec amertume qu'il n'avait pas dormi. Compréhensible après la claque d'hier soir. A travers la vitre du bus, le soleil avait transformé la pièce en véritable fournaise. Au moins il faisait beau. Ce fut d'ailleurs l'unique raison qui le poussa à quitter le lit dans lequel il aurait pourtant préféré se morfondre toute la journée. Un toquement à la porte le fit sursauter et l'obligea à s'extirper de la couchette pour de bon. Il enfila nonchalament la veste qu'il avait jeté sur une chaise la veille et alla ouvrir.

- Pe-tit-dej ! Dit Tom en laissant apparaitre un sourire des plus enthousiastes auquel Bill tenta de répondre tant bien que mal pour masquer son état.

Il referma la porte derrière lui et ils arrivèrent bientôt dans une salle à manger de fortune où Gustav et Georg buvaient un grand café, visiblement en grande discussion.

- Et là elle se tourne vers moi et me demande : "t'en penses quoiii ?". Je crois que les nanas ne se rendent pas compte qu'elles lancent une vraie mine en posant cette question. Et puis qu'est-ce que j'y connais en lingerie, moi ? Sérieux, j'ai une tête de conseillère en lingerie ? Je sais les enlever, c'est tout, et c'est suffisant ! "Georg, alors, corbeille ou pushup ?", "alors Georg, boxer ou tanga ?" ...

Georg accompagnait ses propos de grands gestes de la main auquel Gustav répondait par un hochement de tête permanent entre deux bouchées d'un croissant sortant du four, buvant les paroles de cette histoire qui semblait le fasciner. La main de Georg vint finalement se poser lourdement sur l'épaule de Gustav.

- Gustav, si un jour elle te demande de venir faire les boutiques avec elle, ne fais pas la même erreur que moi. Rappelle-toi Gustav: tu dis NON, un NON franc et ferme !

Bill laissa paraître un léger sourire. La tête baissée et les yeux mi clos, il suivait son frère qui s'arrêta finalement à une table.

- Là, c'est parfait ! Ca te va ?
- C'est une table, Tom. La même que celle d'à côté et que celle d'en face et que celle de derrière ...
- Mouais mouais. Mais celle là est au soleil et en plus elle est bleue.
- C'est vrai, ça change tout ... Répondit distraitement Bill, les yeux rivés vers le percolateur.
- Exactem ... Le brun se tut et roula des yeux devant l'affligeant désintéressement de son frère.

Un café, un yaourt et un verre de jus d'orange en main, Bill s'assit finalement en face de Tom qui croquait avidement dans une pomme.

- Ca ne va pas.
- Si.
- Pitié, Bill. Ne me la fais pas.
- J'ai tout dit à Julia. Hier on a parlé et elle voulait m'avouer quelque chose, j'ai pensé que c'était le moment de faire de même, histoire d'être honnête pour une fois.
- Et ?
- Elle l'a mal pris.
- Tiens, ça m'étonne ! Mal pris du genre ...
- Du genre "vas te faire voir espèce de psycopathe et si un jour je te croise n'espère même plus pouvoir faire d'enfant".
- Dur ... Bill, tu te rends compte, tu viens de te faire plaquer par une nana que t'as même pas eu le temps de toucher ... C'est la relation la plus éclair que j'ai jamais vu: 4 minutes à tout casser.
- Tom si c'est pour faire ce genre de remarque, ferme-là.
- Ca va, je déconnais ! De toute manière à vouloir trop jouer avec le feu on se brûle. Je te l'avais dit de ne pas t'enfoncer là dedans, oui ou non ?

Les yeux dans le vague, Bill secoua lentement la tête en signe d'affirmation.

- Maintenant c'est à toi de rattraper ça. Elle a raison, c'est pas correct. T'as raison, tu ne peux pas révéler ton identité à n'importe qui. Tu vois où je veux en venir ?

Hochement de tête. Négatif.

- Ce que je veux te faire comprendre c'est qu'il n'y a pas une personne en tort, mais qu'à cause de ces non-dits vous êtes dans des réalités différentes. Elle se sent trahie, tu te sens abandonné: d'accord. Fais le premier pas, si tu t'en sens capable. Et vois comment ça évolue. Je sais pas quel autre conseil te donner. Je ne suis pas très doué pour parler au filles. J'ai jamais vraiment déjà eu ce genre de conversation en fait, je crois ...

Il rit. Bill aussi. Deuxième rire de la journée. Il expédia son café et retourna dans le bus, après s'en être préalablement excusé auprès de Tom. Sa première réaction fut de vérifier ses e-mails. Rien. Son téléphone n'indiquait ni appel manqué ni SMS. Il se laissa à nouveau tomber sur son lit et s'allongea sur sa couverture, la tête enfoncée dans l'oreiller. Trop sentimental. Trop naïf. trop maladroit. Trop connu. Trop. Lui qui avait pendant des années rêvé d'une histoire aussi belle qu'improbable, lui qui avait finalement eu le bonheur de la vivre, il mesurait pour la cinq-cent quatre-vingt quatorzième fois depuis hier soir qu'il n'avait fait que la saborder un peu plus chaque jour depuis le début. Il renifla bruyament et leva le tête pour essuyer d'un revers de manche ses yeux humides et bouffis par la fatigue.
Superstar mondiale ou inconnu au détour d'une rue, la vie n'était pas plus facile pour l'un que pour l'autre. Les sentiments, les actes, les mots, tout lui semblait d'une complexité infinie à présent, presque irrationelle.

16. 17. 18. 19 ... Il passa tous les jours suivant à lui envoyer un e-mail dans l'espoir d'une réponse qui ne vint jamais. Au bout de la deuxième semaine il changea de tactique, optant pour un simple coup de fil, sans plus de succès. Trois semaines. Trois semaines s'étaient finalement écoulées sans nouvelle. L'air frais matinal des rues parisiennes caressait les joues du groupe qui se dirigeait vers l'hôtel qui serait leur maison pendant cinq jours. Dans le hall, Bill posa une main sur sa joue glacée et sourit à ce contact en la sentant se réchauffer. Le soleil commençait à peine à se lever. Aucun nuage à l'horizon: il allait faire beau. Quelques fans matinalement hystériques scandaient leur nom à l'extérieur de l'imposant bâtiment. Un léger parfum d'orchidée flottait dans le hall où le personnel en uniforme les accueillait avec un grand sourire, disposés à satisfaire leurs moindres désirs et besoins. Tout allait étrangement bien. Tout était comme avant. C'est ce jour que tout devint clair: pourquoi sans cesse remuer ce qui appartenait maintenant au passé ? On ne va pas de l'avant en restant tourné vers des regrets et des remords. Julia faisait partie de ce passé, et n'échappait pas à la règle. Elle avait égayé une période de sa vie et en avait noirci une autre. Maintenant, il fallait tourner la page. Ce soir, il donnerait son concert le coeur léger. Ce soir, il redeviendrait le Bill qu'il avait toujours été. Un sourire. Il attrapa le pass que Tom lui tendait et le saisit par l'épaule pour l'entrainer vers l'ascenseur d'un pas enjoué.


***


Il touillait machinalement le café trop chaud qu'on venait de lui servir. Tom arriva enfin et lui donna une légère tape dans le haut du dos avant de venir s'asseoir en face de lui. Il se frotta les mains, le regard avidement tourné vers le panier de croissants, et en attrapa un au hasard qu'il porta à sa bouche.

- Bien dormi ?
- Après ce concert de folie ? Evidemment !
- C'était magique, juste magique.
- Oui, c'était ... La folie !

Bill rit et but une gorgée de café. Un serveur arriva et posa le café de Tom, et un journal qu'il tendit au brun.

- Le journal d'aujourd'hui, précisa-t-il bien que cela parut évident.

Tom le remercia et l'ouvrit distraitement. Il eut un hoquet de stupeur et manqua de s'étouffer.

- Un problème ?
- Je crois qu'il faut que tu voyes ça.

Il lui tendit le journal qu'il saisit d'une main ferme. Le titre de la première double page était sans équivoque: "Tokio Hotel au parc des Princes: un concert raté, les fans déçus". Il regarda le nom de l’auteur et son visage se décomposa.

- Elle a écrit QUOI ?