Méfiez-vous des apparences.Bill Kaulitz, sa veste en cuir encadrant parfaitement ses épaules, ses lunettes noires délicatement posées sur son nez, pénétra dans la chambre de son hôtel, et fit claquer la porte, négligemment. Il avança doucement dans la pièce, la contempla d’un œil critique avant de lancer son manteau sur le canapé. Le lit central était d’une grandeur étonnante, bordé d’une couverture rouge resplendissante. Les quelques meubles étaient tout aussi classieux, et en les regardant, le chanteur eut un rictus de dégoût. Cette perfection l’écœurait.
Il se déshabilla au fur et à mesure, se prit une douche rapide, et enfila un jogging blanc, tout simple. Ses longs cheveux lisses encadraient son beau visage. Ses ongles vernis brillaient sous la lumière faible de sa chambre. Il se plaça devant le miroir de la salle de bain, et se regarda, un air indifférent collé au visage. Il leva un sourcil, puis l’autre, et finit par secouer la tête, se moquant de sa bêtise. Il se fixait lui-même de son regard noisette. Son visage était marqué par la fatigue, mais ses yeux étaient toujours aussi bien maquillés. Il se fit le sourire qu’il lançait à tout le monde : un sourire forcé, qui semblait pourtant plein de vie, de joie. Quand il abandonna ce sourire pour reprendre son air troublant, indifférent, la différence était très frappante. Avant de détourner les yeux, il se lança un dernier regard qui exprimait le dégoût. Oui, Bill Kaulitz éprouvait du dégoût envers lui-même. Très bon acteur, c’est sûr.
Comme tous les soirs, il se dirigea vers sa valise, qu’il ne déballait jamais, et en sortit une bouteille de champagne. Il l’ouvrit d’une main experte, en but une gorgée. Que fêtait-il ? Sa carrière ? Sa vie ? Non, juste sa soirée. Cette soirée, qui reflétait en fait toutes les soirées qu’il passait depuis deux bonnes années. Ces soirées, qui étaient tout le contraire de ce qu’il laissait paraître au monde. Il les adorait. Pourquoi ? Parce que c’était grâce à elles qu’il pouvait s’échapper de sa vie réelle, pour quelques heures. Sortir de ce personnage souriant, joyeux, bavard, heureux. Oui, ces traits faisaient partis de lui, il avait toujours été comme ça, et la célébrité les avait « maintenus » en vie. Du moins, c’est comme si tous ces éléments les avaient forcés à persister. Comme si ça n’était pas naturel. Comme si, lorsque le chanteur était triste, tout cela lui explosait à la figure, et qu’il devait faire semblant d’être heureux. Pourquoi est-ce qu’au moins une fois dans sa vie de « star », Bill Kaulitz, le chanteur de Tokio Hotel, ne pourrait-il pas être triste, déçu, ou fâché ? C’est un humain. Pas un « humanoid », comme il le chantait si bien… Mais cet album, ces chansons, surtout « Automatisch », révélaient ce qu’il éprouvait en ce moment. Un sentiment d’automatisme devant les photographes, les fans, les journalistes. Sourire : c’est tout ce qu’il pouvait faire face à eux. Chaque sourire lui procurait une douleur atroce. Comme s’il était un pantin, et que quelqu’un se chargeait de tirer ses ficelles affaiblies par le temps…
Toc toc toc
Bill fut sorti de sa rêverie suite à ce bruit, qui, à son plus grand étonnement, provenait de sa porte. Il pensa d’abord à Tom, mais ce dernier était encore en boîte. Gustav et Georg était, quant à eux, partis voir un film au cinéma. Il était seul, comme presque tous les soirs. C’est pourquoi, cette personne, qui se trouvait derrière sa porte, l’intéressait. Il se demandait qui ça pouvait bien être, et commença à rêver, imaginant tout et n’importe quoi…
Toc toc toc
Cette fois-ci, Bill se précipita sur la porte, mais hésita, la main sur la poignée. Il regarda la bouteille de champagne qui se trouvait encore dans sa main gauche, secoua la tête, et glissa doucement son bras gauche derrière son dos, de façon à cacher la bouteille. Il ferma les yeux, priant pour que cette personne puisse changer quelque chose. Mais changer quoi, au juste ? Il se trouvait pitoyable, à penser de la sorte. Il ferma une dernière fois ces yeux, et avant de les ouvrir, entrouvrit la porte. Quand il les rouvrit, son regard fut d’abord attiré par deux jolis yeux, d’un bleu-vert surprenant. Ensuite, toute la personne qui se tenait en face de lui s’ouvrit d’un seul coup à lui. Une jeune fille, le visage ovale, assez petite, surement la vingtaine, de longs cheveux bruns remontés en un chignon négligé, mais qui lui donnait beaucoup de charme. Elle portait un jean clair tout simple, une veste en cuir, un débardeur blanc et des talons compensés. Elle plongea ses yeux dans les siens. Ce qu’il y vit l’effraya. Une angoisse terrible les habitait. Ses deux sourcils froncés exprimaient la peur. Qui était-elle ? Pourquoi était-elle là ? Bill n’en savait rien, mais quelque chose chez elle le faisait se sentir en sécurité, bien qu’elle parût, à l’heure qu’il était, complètement terrorisée. Mais cela finit par l’inquiéter, et il lui demanda brusquement :
-Quoi?
La jeune fille se trouva apparemment déstabilisée, et recula d’un pas. Elle regarda sa montre, dirigea son regard vers l’ascenseur, qui, à ce que remarqua Bill, montait jusqu’à cet étage, petit à petit. Plus les étages défilaient sous les yeux de la jeune fille, plus son regard s’emplissait d’angoisse. Elle se pinça la lèvre inférieure, ne sachant apparemment que faire.
-S’il te plait… Aide-moi ! lui lança-t-elle la voix tremblante de terreur.
Le chanteur replongea son regard dans le sien, et, voyant que l’ascenseur s’arrêtait à leur étage, lui saisit le bras fermement, la tira dans la chambre, et ferma la porte violemment. Il la verrouilla, et se tourna vers la demoiselle.
-Tu… commença-t-il avant que cette dernière lui fit signe de se taire, posant un doigt sur les lèvres du chanteur.
Elle eut l’air de fixer quelque chose, et Bill se rendit compte que c’était sa bouteille de champagne. Il la regarda en haussant les épaules. Elle n’en fit rien, et se contenta de poser doucement son oreille sur la porte. Ses gestes étaient d’une telle douceur, elle semblait si fragile, que Bill sut qu’il avait bien fait de la « sauver ». Il ne savait pas de quoi, mais il en était content. Oui, pour une fois depuis ces dernières années, il était content d’avoir fait quelque chose pour quelqu’un.
Dès que l’ascenseur eut fait son petit tintement habituel lorsqu’il était arrivé à destination, des pas bruyants mais extrêmement réguliers se firent entendre.
-Tally ! s’exclama une voix masculine d’un ton terrifiant. Je vais te trouver, tu pourras pas te cacher longtemps chérie…
A ces mots, la dénommée Tally frémit de peur. Bill la contempla d’un regard emplit de pitié. Qui était cet homme qui la terrifiait à ce point ? Son copain ? Un inconnu qu’elle avait rencontré par malchance ?
-Je ferais toutes les chambres de ce splendide hôtel s’il le faut, crois-moi sur parole.
La voix se rapprochait petit à petit, pendant que l’homme guettait apparemment n’importe quel bruit suspect qui pourrait faire détecter la présence de la jeune fille, étant donné qu’il était trois heures du matin, et qu’à cette heure, tous les clients étaient censés dormir. Bill rapprocha son visage de celui de la jeune fille, et dû se baisser un petit peu pour atteindre son oreille et lui chuchoter :
-La sécurité va surement arriver, ne t’inquiète pas.
Elle leva son visage dont les doux traits étaient déformés par l’inquiétude vers lui, et lui répondit d’une voix presque inaudible:
-Non, ils ne lui feront rien, comme toujours…
Alors qu’il allait lui répondre, les deux jeunes sentirent que les pas s’étaient arrêtés juste devant leur porte. Bill, même s’il ne savait pas qui était cet homme et ce qu’il voulait à Tally, sentit son ventre se tordre de peur. Rien que la voix de cet étranger l’inquiétait. Une voix sans pitié, grave, dure. Ils tendirent tous les deux l’oreille vers la porte, et furent surpris quand ils entendirent ces mots, d’une dureté incroyable, même sadique :
-TOC, TOC ?
Bill sentit une pression sur sa main qui s’exerçait, et devina qu’il s’agissait de la main de la jeune fille. En sentant sa peau, il se rendit compte qu’elle était complètement gelée. Les pulsions qu’elle exerçait sur sa main étaient continues, et inquiétaient encore plus le chanteur. Comment est-ce qu’un être humain pouvait terroriser à ce point une jeune fille si fragile, qui paraissait d’une tendresse absolue ? Comment est-ce que quelqu’un pouvait être aussi horrible ? Bill savait qu’il fallait faire diversion, mais rien ne lui passa par la tête, avant qu’il songe à son frère… Le chanteur, qui d’habitude n’aurait jamais eu ce genre d’idée, s’étonna lui-même, quand il commença à imiter des gémissements de plaisir. Tally lui lança d’abord un regard perplexe, et eut apparemment peur que l’homme n’y croit pas, puis comme Bill lui fit un signe de la main pour lui dire de faire pareil, elle s’exécuta. Ils continuèrent, jusqu’à ce que l’homme ait un rire amusé, puis s’en alla dans le couloir. Dès qu’il eut pris de nouveau l’ascenseur, ils s’arrêtèrent, et Tally, d’une petite voix, lança à Bill :
-Merci beaucoup…
Puis, après avoir déclaré ça, elle s’assit sur le lit, et fondit en larmes. Son petit corps était secoué par de forts sanglots, et Bill s’assit à ses côtés. Il n’osa pas la prendre dans ses bras pour la réconforter. De plus, il était toujours torse nu, et ne savait pas si ça la dérangerait. Tandis qu’il fixait ses mains, il s’aperçut que sa bouteille de champagne n’y était plus, et fut étonné de la voir devant la porte, comme oubliée. Au plus profond de lui, il fut soulagé. Quand Tally fut calmée, Bill finit par lui demander :
-Sans vouloir être indiscret, c’était qui ?
-Tu me jures de ne le dire à personne ? lui demanda-t-elle d’un ton suppliant.
-Promis.
-Chris Brown…
Bill n’en crut d’abord pas ses oreilles. Chris Brown ? Le jeune, Chris Brown ? La star du R’N’B ? Cela lui parut d’abord absurde, quand il se souvint d’une nouvelle qu’il avait entendu aux infos. Cet homme avait déjà battu l’une de ses ex, Rihanna… Mais à elle, que lui avait-il fait ?
-Il m’a trouvé…, commença-t-elle à expliquer en voyant l’air incrédule du chanteur. C’était à New York, il y a deux ans… Je venais de perdre tout ce que j’avais, et je n’avais plus aucun endroit où dormir. Un jour, je suis passée devant une boîte, et j’ai vu une magnifique limousine. Il en est sorti, et m’a aperçue. Au début, comme j’avais vu de qui il s’agissait, je ne m’étais fait aucun souci. Quand il s’est rendu compte de l’état dans lequel j’étais, il m’a proposé de m’aider. Mais, contrairement à ce que j’avais pensé bien naïvement, il ne faisait pas ça par pure charité. Il a profité de moi, plusieurs fois, mais je ne pouvais pas m’en aller. Il m’entretenait. Si je partais, je pouvais dire bonjour à la rue, et de toute façon, j’étais sûre qu’il ne me laisserait pas partir si facilement. Depuis, je le suis, partout où il va. Il dit à tout le monde que je suis sa secrétaire, que je m’occupe de tous ses rendez-vous. Et ce soir… Il a beaucoup bu, plus que d’habitude. On était dans la boîte, tout près d’ici, et il m’a surpris en train de bavarder avec un autre gars, et il s’est énervé. Il m’a forcée à sortir de la boîte, et quand j’ai vu sa main s’approcher de mon visage… Je lui ai donné un coup dans ses…
Bill comprit tout de suite, et eut une mine de douleur en imaginant que quelqu’un lui donnait un coup dans ses parties intimes.
-Bref, j’en ai profité pour m’en aller, courir, m’échapper. Mais il me poursuivait. Je ne sais pas comment il a réussi à courir après le coup que je lui ai donné, mais il était là, derrière moi…
Sa voix trembla à cette phrase.
-… J’ai vu des lumières, celles de l’hôtel. Sans réfléchir, j’y suis rentrée, et comme il était dans les trois heures du matin, il n’y avait presque personne, juste un vigile qui m’a laissé passer, il avait l’air plutôt endormi, d’ailleurs… Enfin, je me suis précipitée dans l’ascenseur, et avant que les portes se ferment, je l’ai vu arrivé. Son regard était d’une frayeur…
Elle frémit à ce dernier mot.
-… J’ai vite appuyé au hasard, et je suis tombée sur le neuvième étage. Le tien donc… Comme j’ai entendu des bruits dans ta chambre, j’ai pensé qu’il y avait quelqu’un… Désolée que ça soit tombé sur toi, vraiment…
Bill fut étonné qu’elle s’excuse. Elle avait été pendant deux ans, si l’on peut dire la « captive » de ce gars, il avait profité d’elle, et ce soir, il avait essayé de la battre, mais elle s’excusait.
-Tu n’as pas à t’excuser, tu sais, finit-il par dire en manque d’inspiration après tout ce qu’elle venait de lui raconter.
Un silence s’installa, et pendant celui-ci, Bill se mit à réfléchir à ce qu’il était en train de lui arriver. Il pensa à sa situation, un quart d’heure plus tôt. Il se revoyait, sa bouteille à la main, son jogging blanc, son reflet dans le miroir… Ce Bill Kaulitz, celui qui buvait, celui qui passait ses soirées à ça, tandis que des jeunes filles se faisaient complètement avoir… Il se leva doucement, et se dirigea vers sa salle de bain. Il fit couler un peu d’eau, et s’en passa sur le visage. Il se nettoyait, non pas de la journée qu’il avait passé, mais de ce qu’il était devenu. Un pauvre idiot qui buvait en cachette. Quand il eut fini de s’essuyer le visage, il se tourna vers Tally, qui avait l’air perdu dans ses pensées, et lui dit d’un ton assuré :
-Merci, Tally…
Tally. Ce prénom sonnait si joliment, quand il le prononçait. Il n’avait pas remarqué sa beauté, lorsque Chris Brown l’avait prononcé tout à l’heure. Et Bill se dit que c’était normal, vu la voix qu’il avait prise… Ce ton méprisant…
La jeune fille fut étonné qu’il l’a remercie, mais elle eut vite l’air de comprendre, quand ses yeux se dirigèrent vers la bouteille de champagne laissée devant la porte. Elle lui sourit doucement, un sourire qui paraissait ne plus s’être fait naturellement depuis longtemps. Celui-ci avait l’air si franc, honnête, voulu. Bill pensa alors au sourire qu’il s’était lancé dans le miroir, et se dit que jamais plus il ne voulait le revoir. Sa mâchoire sembla s’activer toute seule à cette pensée, quand il accorda un joli sourire à Tally. Un sourire humain. Un vrai.
Le chanteur ressentit un bien être s’emparer de lui. Un sentiment qu’il n’avait plus eu l’honneur de connaître depuis longtemps. Il posa de nouveau son regard sur Tally, qui frissonnait encore, mais Bill se rendit compte qu’elle ne pleurait plus, mais qu’elle avait tout simplement froid. Il courra presque vers son armoire pour en sortir un pull, qu’il lui tendit. Elle chuchota un faible « merci ». Il était sur le point de lui demander si elle voulait quoi que ce soit d’autre quand son Blackberry se mit à vibrer sur sa table de nuit. Il fut d’abord surpris, mais quand il vit le nom de l’appelant, toute surprise s’effaça, et Bill répondit à son frère :
- Oui, Tom ? Hein quoi ? Bourré ? Mais c’est à deux pas, pas besoin que je vienne le chercher, ramenez-le vous… Eh, pas besoin de crier, mon vieux… D’accord, d’accord, j’arrive !
Bill raccrocha, énervé. Tally lui adressa un regard interrogateur.
-C’est mon frère, il a trop bu, et il est allé draguer la copine d’un des vigiles, ils l’ont foutu dehors et y a un gars qui s’est chargé de m’appeler… Faut que j’aille le chercher, acheva-t-il.
-Je viens avec toi, déclara Tally, résolue.
-Heu non, c’est trop dangereux, répondit-il, en fronçant les sourcils.
-Si je viens. Tu m’as aidé, je vais t’aider.
Le chanteur allait encore la contredire, mais elle était déjà debout, à l’attendre, les bras croisés. Bill devina à son regard que cela ne servirait à rien de lui dire non, et qu’elle viendrait quand même. Il enfila un t-shirt, s’empara de sa veste en cuir, enleva son jogging et finit par mettre son jean et ses santiags. Quand il fut enfin prêt, ils prirent soin de vérifier que personne ne se trouvait dans le couloir, et sortirent de la chambre. Dès qu’ils furent dans ce couloir, la peur de Tally se fit ressentir, elle n’arrêtait pas de regarder à droite à gauche. Bill lui saisit la main pour la rassurer. Ils prirent l’ascenseur, et quand ils furent arrivés au rez-de-chaussée, tous deux se sentirent soulagés de constater qu’il n’y avait personne, à part le vigile que Tally avait du croiser, qui s’endormait presque devant la porte, affalé sur sa chaise. Ils franchirent la porte d’entrée de l’hôtel, qui s’ouvrit automatiquement. Quand ils furent dehors, le froid les saisit, et la jeune fille se rapprocha de Bill, visiblement très inquiète. La boîte se trouvait sur le trottoir d’en face, et il fallait parcourir une vingtaine de mettre sur la droite pour y aller. Bill était certain qu’ils y arriveraient sans problème, mais Tally n’en avait pas l’air si sûr. Et cette dernière avait certainement bien raison, car, lorsqu’ils traversèrent la rue, une voiture blanche, une audi sportive, arriva à pleine vitesse, et Bill comprit qu’il s’agissait de Chris, quand Tally laissa échapper un cri de stupeur. Tout se passa ensuite à une vitesse phénoménale. Bill vit d’abord s’approcher cette voiture de plus en plus, eut le temps de plonger ses yeux dans ceux de Tally, avant que celle-ci ne lui dise « merci ». Il ne comprit que trop tard cela. Elle le poussa sur le côté, il atterrit près des voitures qui stationnaient le long du trottoir, et se cogna la tête dans l’une d’elle, ce qui le fit saigner. Voiture. Tally. Accélération, puis coup de frein. Clignement d’yeux. Deuxième. Chris sortant de la voiture, regardant Tally d’un air indifférent. Lui donnant un coup dans le ventre. Remontant dans sa voiture. Demi-tour.
Les lampadaires éclairaient de leur faible lumière cette scène. Cette horrible scène. Bill porta sa main à son crâne, et sentit son sang couler, sous ses doigts faibles. Une douleur s’emparait de tout son corps, mais il n’y fit pas attention. Il cligna plusieurs fois des yeux, regarda à droite à gauche. Tout droit. Oui, elle était là, allongée sur le sol. Il rampa, doucement, pour s’approcher d’elle. La douleur qu’il ressentait à son crâne lui faisait mal, mais il s’en contre fichait. Quand il fut assez près de Tally, il l’observa, horrifié. Ses yeux étaient ouverts, mais semblaient presque éteints. Sa main était parcourue de légères pulsions. Elle tremblait. Elle saignait. Bill ne voyait qu’elle, tout ce qui était autour était flou. Sa bouche entrouverte, son corps frêle brisé par la douleur. Elle était si fragile, et cet homme l’avait cassé sans la moindre pitié. Cassée. Et peut-être à jamais.
Il se saisit de sa main doucement, lui parla, lui dit de rester. Elle parvint à lui sourire, un sourire presque imperceptible, mais qui était bien là. Pour lui. Uniquement pour lui. Il se mit à pleurer à chaudes larmes, ne s’arrêtant plus, la suppliant de rester. Il était maintenant à moitié allongé sur elle, pleurant toutes les larmes de son corps, de son coeur, baignant le visage de la jeune fille de ses larmes. Il lui caressa son doux visage, du bout de ses doigts. Sa peau si douce, mais si gelée. Elle ne lui répondait pas, mais vivait encore. Il cria de toutes ses forces, pour que quelqu’un lui vienne en aide. Quelques minutes plus tard, la sirène d’une ambulance se fit entendre, mais Bill ne leva pas un œil. Il ne quittait pas la jeune fille du regard. Celle-ci sembla essayer de lever sa main vers le visage du chanteur, mais n’y parvint pas. Il la lui saisit doucement.
-Ne pars pas, je t’en prie, lui chuchota-t-il entre deux sanglots.
Quelqu’un voulut l’écarter de Tally, mais celle-ci eut un air horrifié quand ses gens se saisirent de Bill. Ce dernier cria à s’arracher les cordes vocales, ne voulant pas la quitter, même si son propre sang coulait lui aussi à flots.
« C’est trop tard pour elle, son cœur est faible, elle va mourir ! »
« On ne peut rien faire… »
« De l’aide ! »
« Quelle horreur ! »
Bill voulait que toutes ses voix se taisent, qu’elles ne se trouvent que dans sa tête, comme dans un cauchemar. Il voulait qu’elles les laissent, Tally et lui. Qu’elles aient tort. Que ces gens, pourtant experts, lui disent qu’elle allait vivre.
Il lui serra une dernière fois la main et il lit sur ses douces lèvres ses derniers mots :
-Je pars…
Ces deux mots, pourtant simples, lui parurent d’une complexité absolue. Elle ne pouvait pas partir, le laisser dans cet état. Elle ne pouvait pas mourir. Elle était comme un ange. Lui, il était misérable. Il n’était rien sans cette jeune fille fragile, qui avait, en seulement quelques minutes, changeait sa vie. Oui, il la connaissait à peine, mais avait senti ce qu’il attendait depuis longtemps. L’amour, l’âme sœur. Ce lien, qui s’était formé tout seul. Ce lien, qu’on lui avait alors coupé. Non, non ils n’avaient pas le droit de lui enlever ce bonheur ! Maintenant qu’il l’avait trouvé, le ciel semblait le punir. L’empêcher d’être heureux. Lui retirer cet être, si doux, fragile, beau, qu’il n’avait pas eu le temps de bien connaître. Ils n’avaient pas le droit de la lui enlever. Pas maintenant qu’il savait que c’était
elle. Oui, Bill croyait au grand amour, mais pensait aussi qu’il n’y en avait qu’
un.
-Je te rejoins bientôt, petit ange…
Quand il sentit la main de Tally complètement inerte, il sut. Il comprit que s’en était fini pour elle, mais aussi pour lui. Il préférait mourir que de la quitter. Alors que les médecins s’apprêtaient à le sauver lui, à l’arracher de Tally, il leur cria de s’en aller, mais ils ne l’écoutèrent pas. Ils le tirèrent, et au fur et à mesure, Bill vit Tally, son corps inerte, en sang, s’éloigner de lui. Il vit aussi d’autres médecins la recouvrir. Sa tête commençait vraiment à lui faire mal, sa vue était extrêmement mauvaise, et ses yeux se fermaient petit à petit. La seule chose qu’il eut la force de crier, ce fut cela :
-TALLY !
***
Bip, Bip, Bip
Bill entendit les battements de son cœur résonner. Boum, boum, boum. Il leur en voulait d’être encore là. De battre pour le maintenir en vie. Personne ne se rendait donc compte que ça ne servait plus à rien ? Pourquoi celui qu’on appelle Dieu s’obstinait-il à le maintenir en vie, mais en lui ôtant toute occasion d’être heureux ? Pourquoi avait-il sacrifié l’être qui lui semblait à cet instant le plus angélique au monde ? Peut-être que ce Dieu était égoïste, et qu’il la voulait pour lui toute seule. Il se surprit à imaginer Tally, ses longs cheveux détachés, son beau sourire, au côté du vieil homme…
Il ouvrit doucement les yeux, et vit qu’il était connecté à plusieurs fils. Des perfusions. Avant de faire quoi que ce soit, Bill eut une pensée pour son frère, Tom. Son jumeau, qu’il aimait tant. Bill se détestait de devoir lui infliger cette douleur. Celle de perdre son frère. Mais c’était plus fort que lui, il ne pouvait vivre comme ça, en sachant que jamais il ne trouverait l’âme sœur, car celle-ci venait de le quitter.
Bill leva doucement sa main, et la dirigea vers les seuls fils qui l’empêchaient de mourir.
-Je t’aime Tom…
Sur ces derniers mots, d’un geste puissant, sans hésitation, il s’arracha les derniers fils qui le maintenaient en vie, et entendit les derniers battements que produisirent son cœur faible, qui devenaient de plus en plus lent…
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip…
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip… Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.
FIN