Au delà des rêves De la fenêtre ouverte s’engouffrait un souffle au parfum de chaude nuit d’été qui gonflait les voiles ornant le lit à baldaquin. La lumière de la pleine lune éclairait les murs blancs d’une lueur bleutée et permettait de distinguer la scène qui prenait forme presque comme en pleine journée.
La jeune fille allait et venait à un rythme régulier, le souffle court. A chaque mouvement, sa poitrine caressait le torse imberbe de son amant, créant une divine friction et ajoutant à l’osmose qui les unissait. Leurs regards étaient plongés profondément l’un dans l’autre, et leurs mains entrelacées se faisaient souffrance tant ils ne voulaient pas perdre cette proximité et craignaient une fin trop proche. Bill poussa un léger gémissement alors que la jeune fille sur lui s’empalait un peu plus profondément. Il observait les traits doux du visage qui passait au-dessus du sien au rythme de leurs ébats : ses yeux bleus ciel dont les pupilles étaient entièrement dilatées autant par la pénombre que par l’excitation, ses cheveux d’un blond doré dans lesquels il aimait passer la main, sa peau légèrement halée qui brûlait contre la sienne d'une pâleur presque blanchâtre. Elle était belle, elle était douce et sauvage à la fois. Lorsqu'elle mordillait sa lèvre et retenait son souffle en fermant les yeux, il la trouvait plus attirante encore. Il la laissait faire ce qu'elle voulait. Il la laissait prendre entièrement possession de lui, cette nuit comme toutes les précédentes.
Il ne savait même pas exactement où ils se trouvaient. Les draps satinés et la literie luxueuse lui indiquaient qu'ils étaient probablement dans une chambre d'hôtel.
La jeune fille se pencha doucement sur lui, glissant son visage contre le sien, et venant déposer quelques baisés d'abord chastes et timides puis plus passionnés et humides, dans le cou du jeune homme puis sur son épaule frêle. Elle resta collée à lui, frémissante, et il pouvait humer avec délice le doux parfum de sa peau. Elle poussa un gémissement étouffé et se contracta de quelques spasmes, serrant un peu plus fort encore les mains de Bill dans les siennes. Elle ralentit le rythme dont elle était seule maîtresse puis l’accéléra soudainement pour donner autant de plaisir à son amant, qu’elle venait juste d’en prendre elle-même. Bill se mordit la lèvre inférieure en gémissant de plus bel. Il aimait la sentir jouir grâce à lui, au moins autant qu’il aimait venir en elle. Il retenait l'inévitable autant qu’il le pouvait, pour que cet instant se prolonge et ne finisse jamais.
Il savait qu’il allait la perdre. Il savait qu’à la seconde où il ressentirait le meilleur, il serait puni par le pire : elle le quitterait, elle s’évaporerait. Il voulait encore sentir sa peau glisser contre la sienne, ses cheveux caresser son visage, et surtout, sa présence. Il l’aimait et il ne voulait être qu'avec elle. Il aurait tout quitté pour elle, et pourtant, il ne l’avait même jamais rencontrée.
Une douce chaleur envahit sa virilité, prélude à ce qu’il connaissait si bien. Les hanches des deux amants s’entrechoquaient à un rythme soutenu, produisant un bruit sec à chaque collision qui se mélangeait à leurs gémissements toujours plus sonores. Bill libéra ses mains de celles de la jeune fille pour les passer autour de sa taille et la serrer contre lui. Le drap satiné gisait à présent sur le sol, et révélait leurs corps qui s’épanouissaient et se nourrissaient l’un de l’autre sans retenu. Le plaisir du jeune homme jaillit soudainement par plusieurs vagues, son visage se crispa sous l’intensité des sensations qui l’envahissaient et le submergeaient. Il sentit sa partenaire trembler, frissonner entre ses bras, et il l'étreignit sur son coeur un peu plus fort encore. Une lueur de tristesse assombrissait le regard cristallin de son amour. Elle savait qu’il était temps. Il prit le visage de la jeune fille entre ses mains fines et en un ultime effort, déposa un tendre baisé sur ses lèvres fines et joliment dessinées. Lorsque leurs bouches se décollèrent, il craignait qu’elle ne soit déjà plus là, mais elle leva une dernière fois le regard vers lui.
“Je t’aime.” Prononça-t-il avec une sincérité et une profondeur qui donnèrent tout son sens à cette phrase.
Elle déposa son doigt sur ses lèvres pour le faire taire, et il se réveilla en un sursaut.
Il ouvrit les yeux vivement, et dans un geste empli de désespoir, chercha à tâtons dans les draps autour de lui la moindre trace, le moindre souvenir qu'elle lui aurait laissé, mais la seule chose qui témoignait de ce qui venait de se produire était l'humidité de sa propre jouissance qui marquait les draps d'une large auréole, et son état de post-excitation. Alors qu'il prit conscience qu'une fois encore il l'avait perdue, il explosa en sanglots, se sentant incapable de faire face à cette nouvelle séparation.
Cela faisait des mois qu'elle venait lui rendre visite, nuit après nuit. Il passait ses journées à attendre que le soir arrive, qu'il puisse rejoindre son lit et se plonger dans un profond sommeil pour qu'elle vienne l'y retrouver. Bien qu'elle ne se présente à lui qu'une fois endormi, et qu'elle semblait venir de nul part, il savait qu'elle n'était pas simplement le fruit de son subconscient, qu'il ne s'agissait pas simplement de rêves. Il pensait, ressentait et agissait comme en état d'éveil, il était conscient de toute la scène, et au réveil, il se souvenait précisément de ce qui c'était passé.
Il était fou amoureux d'elle, et il lui devenait toujours plus insupportable de ne pas comprendre ce qui se passait lors de ces visites, et de ne pas savoir qui était cette belle inconnue qui avait volé son coeur.
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Hailey reprit doucement conscience, sa tête lui tournait encore. Elle gisait nue sur le paquet froid de sa chambre, recroquevillée sur elle-même dans une position foetale, au milieu de la figure géométrique qu'elle avait tracée préalablement à main levée, d’une craie blanche : un pentacle inversé. Une chandelle sombre ornait chaque pointe de l'étoile sauf celle sur la gauche de la jeune fille qui était blanche. La chambre n'était éclairée que par la lueur des bougies qui délimitaient le symbole et emprisonnaient la belle dans cette sphère magique.
Elle pouvait encore sentir l'odeur, l'essence de son amant, partout sur elle. Le visage de ce dernier - dénué de tout le maquillage qu'il portait en journée - continuait à marquer son esprit. Elle le voyait comme personne ne l'avait jamais vu avant, elle pouvait percevoir son être à travers tous les artifices et se concentrer sur l'essentiel, sur ce qu'il était vraiment. Il était à elle pendant le court laps de temps qu'ils partageaient, et ça lui était inestimable.
Elle se redressa lentement sur ses genoux en revenant à la réalité. Ses joues et son front étaient brûlants, de la sueur perlait abondamment sur ses tempes, et ses cheveux humides restaient collés à sa peau. Elle saisit la coupe d’eau fraîche qu’elle s’était préparée et se désaltéra à grosses gorgées avant de faire couler le liquide sur son visage pour éteindre le feu qui semblait lui brûler les entrailles. Son esprit reprenait doucement place dans sa forme charnelle. Elle souffla sur la flamme de la bougie blanche, puis sur les quatre autres. C'était terminé. Elle inspecta son corps à la recherche d'une brûlure ou d'une griffure, mais avec soulagement, elle n'en trouva pas. Les premières séances, qui s’étaient suivies par des vomissements et des blessures physiques superficielles, étaient bien loin à présent.
Elle sortit du cercle qui lui servait d’autel, et se pencha dans celui ci pour ramasser l’objet qui canalisait et dirigeait son énergie : une feuille blanche dédicacée de la main de Bill, qu'elle rangea avec précaution dans un de ses dossiers, pour les nuits suivantes. Elle avait obtenu sa signature il y a bien longtemps, alors qu'elle était une fan comme toutes les autres, qui cherchait désespérément l'attention de son idole. Et elle avait trouvé un moyen de l'atteindre, à force de persévérance et de détermination, et beaucoup d'amour aussi.
Elle continua de s'affairer à ranger la pièce. Elle effaça toute trace de ce qu'elle venait de faire, et remit tout son matériel dans sa malle verrouillée, à l'exception de sa bible satanique qu'elle replaça sur l’étagère de son bureau avec le reste de ses cours de théologie, avant de se rendormir paisiblement.
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Le lendemain, 19 février 2008.
David constata une fois de plus que Bill avait à peine touché à son assiette alors que le reste de l’équipe était prête à partir pour la salle de concert. Il jouait avec sa paille en plastique, le visage déconfit, son bonnet des “mauvais jours” vissé sur la tête. Pour ne rien arranger, quand Bill était de mauvais poils, Tom alignait immédiatement son humeur à la sienne, et à eux deux, ils arrivaient à plomber le moral de tout leur entourage. Ce soir, ils allaient jouer devant un public nouveau, dans une ville mythique qui avait lancé des carrières mémorables, et dont ils avaient toujours rêvé de fouler le sol. Mais Bill avait la tête ailleurs, ses préoccupations semblaient toutes autres.
Christopher, l’un des photographes du groupe, captura l’instant sur sa pellicule, et David s’étonna que Bill ne se plaigne pas de s’être fait tirer le portrait alors qu’il n’était pas au meilleur de lui même. Quelque chose devait vraiment clocher.
- Bill ? commença David sur un ton amical et concerné.
- Hum ? répondit ce dernier sans même lever les yeux de son coca citron.
- Est ce que tu veux un dessert ?
- Non merci, je n’ai plus faim, dit-il en se reculant de son assiette et de la table, pour s'adosser à la banquette les bras croisés.
David savait qu’il était inutile de discuter ou d’insister. Bill n’était pas quelqu’un que l’on pouvait pousser à faire quoi que ce soit contre son gré, particulièrement lorsqu’il s’agissait de nourriture.
- Tu as l’air fatigué, continua le manager.
- J’ai mal dormi la nuit dernière, et les précédentes, répondit-il simplement.
- Le décalage d’horaire ?
- Ca doit être ça, affirma-t-il sans grande conviction.
Georg qui en avait marre de subir les sautes d’humeurs des jumeaux, et tout particulièrement de Bill, décida de se joindre à la discussion. Il donna un petit coup de coude complice à ce dernier qui se tourna vers lui, et lança :
- C'est encore ta petite amie imaginaire qui t'épuise ?
- Elle n'est pas imaginaire ! s'exclama Bill, regrettant une fois encore d'avoir parlé de ces visites nocturnes aux autres membres du groupe.
- Ah oui ? Alors comment s'appelle-t-elle ? renchérit le bassiste. Où est ce qu'elle habite ? Quel âge a-t-elle ?
- Ca, je ne sais pas, elle ne me parle pas.
- Jamais un seul mot ? s'étonna Georg.
- Non, répondit-il avec une certaine lassitude à l'idée qu'il ne pouvait effectivement pas communiquer verbalement avec elle, et qu'ainsi leur relation ne pouvait pas évoluer concrètement.
- Moi, dans mes rêves érotiques, les filles sont toujours super bavardes... déclara Georg, un sourire salace sur le visage, très amusé par la tournure qu'il avait donnée à la discussion.
Tom ne put s'empêcher de saisir la perche que le bassiste venait de lui tendre :
- Et les mecs ?
Bill rigola ouvertement à la vanne de son frère, content de l'avoir à ses cotés. Mais il se sentit obligé de rectifier :
- Dans mon cas, il ne s'agit pas du tout de rêves... érotiques, dit-il en chuchotant le dernier mot. Elle est bien réelle cette fille, ça ne fait aucun doute.
Georg hocha la tête de façon négative en souriant toujours. Ca ne le dérangeait pas que Bill comble son manque affectif en s'imaginant une belle histoire d'amour. Après tout, si ça lui permettait de mieux supporter leur isolement.
David écoutait d'une oreille la discussion qui s'en suivit entre ses petits protégés, mais sans intervenir. Il était ravi que l'ambiance soit redevenue légère, c'était une très bonne chose pour le moral de ses troupes.
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Comme toutes les journées passées en tournée ou en promo, celle-ci avait défilé à toute vitesse entre les interviews, photoshoots, soundchecks et répétitions. Le groupe était à présent sur la scène de l'Irving Plaza, face à une foule de quelques centaines de jeunes New Yorkaises aussi hystériques et déchaînées que les fans européennes qu'il connaissait si bien.
Hailey était au troisième rang, coté Georg. Elle avait longtemps hésité à venir à un de leurs concerts, mais ce fut trop tentant pour elle de le voir dans le monde réel, sur scène qui plus est, dans son élément. Elle en avait presque ressenti le besoin.
Les titres se succédaient à une vitesse effrénée, tous dans la langue de Shakespeare, au grand regret de la jeune fille. Après trois chansons assez dynamiques, la mélodie calme de Don't Jump emplie la salle. Bill affichait son regard mélancolique comme à chacune de ses interprétations du morceau. Les fans étaient sous le charme et chantaient en coeur avec lui dans un anglais meilleur que le sien. Il survolait la foule d'un regard vague et imprécis plusieurs fois comme à son habitude, concentré sur son interprétation et les émotions qu'il tentait de faire passer à son audience. Soudain, il s'arrêta en fixant un visage et un seul. Hailey sentit le sol s'ouvrir sous ses pieds et l'avaler toute entière, tant le regard perçant de Bill qui la dévisageait était intense. Une expression de surprise et d'affolement marquait ensuite les traits du jeune homme qui resta muet une seconde avant de se ressaisir et de continuer le morceau.
Ils interprétèrent encore trois titres, pendant lesquels Bill ne cessait de la regarder, essayant tant bien que mal de continuer le show. Il l'avait reconnue, c'était elle, il n'en avait pas le moindre doute. Après Break Away, les quatre musiciens quittèrent la scène comme prévu pour faire une courte pause. Bill fonça dans les loges. Il passa en courant devant un de leurs assistants, qui lui tendait une serviette et deux verres d'eau, et il ne le regarda même pas. Bill devait trouver David, immédiatement. Il tomba sur Nathalie qui se tenait prête à retoucher l'ombre à paupière qui avait coulé sur les joues du chanteur.
- Est ce que tu sais où est David ? lui demanda-t-il à bout de souffle.
- Juste derrière toi, répondit-elle en lui faisant un signe de la tête pour qu'il se retourne, ce qu'il s'empressa de faire.
- Tout va bien ? l'interrogea son manager, inquiet devant l'agitation de l'adolescent.
- Non, commença Bill. Il y a une fille dans la foule, cette fille... c'est celle dont j'ai rêvé toutes ces nuits. Il faut absolument que je lui parle !
- Attends, calme-toi.
Un des coordinateurs du spectacle se présenta devant eux en état de stress :
- Ils doivent remonter sur scène dans deux minutes maximum. Y a un problème ?
- Aucun, répondit David avec fermeté, puis il se tourna vers Bill en réfléchissant à toute vitesse.
Il avait écouté les conversations du groupe au sujet de cette fille dont Bill rêvait, sans prendre cette histoire au sérieux, mais en comprenant comme Georg que Bill devait avoir besoin d'y croire, et que ça ne pouvait pas lui faire de mal. S'il avait vu une fille ressemblant à celle de ses rêves dans la foule, et que cela le perturbait au point de ne plus être en mesure d'interpréter la suite du concert, c'était une affaire sérieuse à ses yeux, et à régler tout de suite. Il échangea un regard avec Bill qui semblait hors de lui, complètement affolé.
- Viens, ordonna David en entraînant Bill jusqu'à l'un des écrans des coulisses qui retransmettait les images du concert.
L'un des techniciens les accompagna, sentant qu'ils auraient besoin de ses services.
- Pouvez-vous cadrer la foule avec une de vos caméras ? demanda David.
- Sans problème, répondit le technicien en sortant son talkie walkie pour donner des instructions précises aux caméramans.
A l'écran défilaient des visages en sueur et en extase, scandant des slogans qui parvenaient aux oreilles des personnes en coulisses tel un bourdonnement assourdissant.
- Est ce que tu la vois ? demanda le manager, avec précipitation.
- Là ! Bill pointa l'écran du doigt. C'est elle !
- Est ce que vous pouvez zoomer ?
- Bien sûr, répondit l'ingénieur en s'exécutant.
David fit signe à Tobi d'approcher :
- Tu vois cette fille ? dit-il en pointant le visage d'Hailey sur le téléviseur.
- Oui, répondit le garde du corps.
- Après le concert, il faudrait que tu la retrouves et que tu lui annonces qu'elle a gagné une visite des coulisses et une rencontre avec le groupe. Puis tu l'accompagnes jusqu'à leur loge. Compris ?
Tobi acquiesça sans montrer la moindre expression, mais Bill n'était pas tout à fait rassuré. Il était habitué à la voir disparaître, glisser hors de ses bras, hors de ses rêves. Il ne pouvait pas s'imaginer que cette fois ci, il en serait autrement.
- Et s'il ne la trouve pas ? Et si elle ne veut pas venir ? interrogea-t-il son manager.
- Du calme, ok ? Il n'y a aucune fan qui refuserait une telle proposition et Tobi a bien vu son visage. D'ailleurs, continua-t-il en s'adressant au technicien cette fois ci, serait-il possible d'imprimer l'image à l'écran sur papier ?
- Oui, on peut faire ça dans notre bureau.
- Alors faites-le, et donner une copie à Tobi.
Sur ce, Bill fut poussé à remonter sur scène et continuer le concert. Il fit de son mieux pour donner une prestation de qualité malgré ses difficultés de concentration. Il ne put s'empêcher de jeter quelques regards furtifs à celle qui faisait battre son coeur, pour s'assurer qu'elle était toujours là, ce qui était le cas jusqu'à ce qu'il quitte la scène.
Une fois de retour dans les coulisses, il se rappela que de la loge du groupe située au-dessus de la salle, il pouvait voir à travers les grandes vitres l'entrée du bâtiment en contrebas, et donc les fans qui le quittaient. Il se dirigea hâtivement jusqu'à celle ci, suivi de son frère, des deux autres musiciens et de plusieurs personnes de leur staff, y compris David.
Ils se postèrent tous devant la vitre, curieux de voir ce qui allait se passer à l'exception de Bill qui lui voulait absolument s'assurer que Tobi lui ramènerait la jeune fille.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà, mais le puissant éclairage de la boite de nuit permettait aisément de distinguer les personnes en contrebas. La plupart des fans se rassemblaient contre le grillage qui donnait une vue vers la sortie des artistes, dans l'espoir d'apercevoir le groupe quitter les lieux. Tobi se tenait à coté de l'entrée du bâtiment, et cherchait du regard la jeune fille dont il tenait la photo à la main. Trois autres personnes, qui étaient sous ses ordres, l'avaient rejoint et lui donnaient un coup de main pour être sûr qu'elle ne passe pas à travers les mailles du filet. Lorsqu'il la repéra, il se hâta de l'accoster.
- Mademoiselle ? l'interpella-t-il en courant vers elle à petites foulées.
Hailey se retourna vivement, se demandant si c'était à elle que l'on s'adressait, espérant que non.
- Oui ?
- J'ai la joie de vous annoncer que vous avez gagné un pass pour visiter les coulisses de la salle, et une rencontre exclusive avec le groupe Tokio Hotel.
Elle resta muette une seconde, devant Tobi qu'elle avait reconnu pour l'avoir vu sur plusieurs photos de fans aux cotés du groupe et dont elle connaissait le poste de responsable de la sécurité. Il n'y avait aucune raison logique pour qu'il soit là et qu'il offre des pass vip à certaines fans, ce n'était pas dans ses attributions, et le groupe ne rencontrait jamais de fan après le concert - trop épuisé par celui ci - mais toujours avant. Elle en conclut qu'il était là pour la ramener auprès de Bill qui l'avait sans nul doute reconnue.
D'un coté, elle mourrait d'envie de le voir, de l'approcher enfin dans la réalité. C'était une proposition en or. Mais d'un autre, elle savait pertinemment ce qui lui coûterait de rencontrer le jeune chanteur, et elle ne tenait pas du tout à payer ce prix là.
- Non, merci. Je dois rentrer, faites-en profiter quelqu'un d'autre, dit-elle avec un sourire forcé en regardant les fans autour d'eux qui passaient et s'extasiaient en reconnaissant le garde du corps le plus médiatisé du groupe.
- Mais... commença Tobi, étonné de recevoir une réponse négative par une fan pour la première fois de sa carrière, vous n'avez peut être pas compris mon offre...
- Si, j'ai parfaitement compris, mais je ne peux pas l'accepter. En tout cas, je vous en remercie, et bonne soirée, conclut-elle rapidement.
Et elle recula de quelques pas, avant de s'éloigner pour de bon.
Bill qui observait la scène emprisonné derrière la vitre, fulminait et n'avait qu'une seule envie : sortir de là et la rattraper. Mais la centaine de fans qui se tenait contre la grille à seulement quelques mètres aurait vite fait de lui tomber dessus. Le portable de David raisonna dans la pièce, et il décrocha immédiatement en voyant le nom de son interlocuteur : Tobi.
- David, qu'est ce qu'on fait ? Elle est en train de partir, là.
- Tu la rattrapes, ordonna-t-il en échangeant un regard avec Bill, et tu te fais insistant.
- Compris.
Tobi courut jusqu'à la jeune fille qui avait rejoint la rue principale, et se posta devant elle. Elle fit un pas en arrière, surprise par la masse qui venait de lui barrer le passage, serrant son sac à main contre sa poitrine.
- J'ai dit que je n'étais pas intéressée, reprit-elle sur un ton qui se voulait plus agacé que précédemment.
- Je suis désolé, je ne peux pas vous laisser partir. Ca sera rapide, je vous assure.
- Ca, j'en doute, lui répondit-elle. Est ce que vous allez m'y conduire de force ?
- Pas du tout, dit-il en lui barrant toujours le passage alors qu'elle essayait de le dépasser plusieurs fois, mais qu'à chacun de ses mouvements il se mettait devant elle.
- Mais vous n'allez pas me laisser partir, c'est ça ? dit-elle comme une simple constatation.
Il acquiesça avec une mimique navrée.
Elle regarda autour d'elle en réfléchissant et en faisant son choix. Si elle acceptait de le voir, de lui parler, ils ne pourraient plus jamais se retrouver la nuit comme ils en avaient l'habitude. Elle allait le perdre, elle en était persuadée.
Mais d'un autre coté, il avait le droit de savoir. Il avait le droit d'avoir des réponses aux questions qu'il lui posait lors de leurs entrevues et auxquelles elle n'avait jamais pu répondre. L'incompréhension du jeune homme enfermait ce dernier dans une certaine détresse dont il ne pourrait se libérer que si elle acceptait de le voir.
- Ok, je vais venir avec vous, concéda-t-elle en suivant le garde de corps.
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David reçut la confirmation de Tobi qu'il revenait à la salle accompagné de la demoiselle. Il se doutait que Bill aurait besoin d'un peu d'intimité et proposa donc à toute l'équipe de se retrouver au bar de la boite de nuit pour un dernier verre avant de retourner à l'hôtel, laissant ainsi la loge disponible pour Bill et la jeune fille.
Lorsque celle ci approcha l'entrée du bâtiment, elle agrippa le bras du garde du corps pour lui demander une faveur :
- Dites, est ce que vous pourriez dire un mot à Bill avant qu'il ne me voit ?
- Bien sur, dit-il en baissant les yeux vers celle qui marchait à ses cotés.
- Est ce que vous pourriez lui répéter très exactement que s'il me rencontre à présent, on ne pourra plus jamais se retrouver la nuit comme avant, et qu'il n'est pas trop tard pour qu'il change d'avis ? demanda-t-elle sur le ton de la confidence. Il comprendra, ajouta-t-elle.
Tobi, lui, ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire, mais il acquiesça sans un mot, et lorsqu'ils rejoignirent la loge dans laquelle Bill les attendait, il entra en premier en lui demandant d'attendre dehors pour exécuter sa requête. Une minute plus tard, il ressortit et invita la jeune fille à entrer, en refermant la porte derrière elle.
Bill se tenait face à elle, une expression de choc marquant les traits fins de son visage alors qu'il réalisait qu'elle était vraiment là. Il s'approcha d'elle et leva sa main droite dont il posa avec hésitation le bout des doigts sur la joue d'Hailey. Il caressa sa peau de façon à peine perceptible, le regard sérieux et sombre plongé dans celui craintif et intimidé de la jeune fille.
- C'est vraiment toi, murmura-t-il.
- Oui, répondit-elle simplement, alors qu'il la scrutait intensément.
Pour avoir été si intime avec lui, nuit après nuit, elle ne pensait pas se sentir si impressionnée de le voir dans la réalité, mais c'était pourtant le cas. Elle avait presque l'impression d'être face à un inconnu. Il portait encore sa parure de scène : les cheveux en hérisson, les yeux charbonneux, des vêtements tape-à-l'oeil. Elle ne l'avait vu ainsi que dans les médias. Le Bill qu'elle aimait était celui qui ne portait rien, qui ne se cachait derrière aucun artifice. Là, il lui semblait être face à la star, et elle se sentait remise à sa place de simple fan.
Mais lorsque Bill s'avança vers elle, et qu'il l'embrassa soudainement du bout des lèvres, en fermant les yeux et en glissant ses mains autour du visage d'Hailey, elle comprit qu'elle était beaucoup plus pour lui. Et elle laissa cette vague d'amour les transpercer et les envelopper tous deux. La tendresse, la chaleur et la passion qu'ils mettaient chacun dans ce baisé les firent frissonner l'un contre l'autre, et elle n'avait plus de doute, lui non plus. Ils étaient ensemble à présent, et ils le resteraient.