[Fic' inachevée] Le désert de ma solitude

- Bill, tu es sûr que tu n’en veux pas ?

S’il avait dit oui ce soir là, rien de tout ce qui va suivre ne serait arrivé. Un simple oui aurait inversé le cours des choses. Mais malheureusement pour Bill, sa réponse fut toute autre.

- Non ! J’ai dit non Tom ! Je n’ai pas faim, un point c’est tout.
Menteur.
- De toute manière tu n’as jamais faim depuis deux mois. Je ne sais même pas pourquoi je m’acharne.

Il termina de garnir son assiette et vint s’asseoir à table en face de son frère. Bill regardait les allers-retours minutieux de la fourchette de son frère, volant lentement de son assiette à sa bouche, puis de sa bouche à son assiette.

- Du tofu ? Bill, allez, du tofu. Fais plaisir à Tomtom, quoi !

Tom pointait maintenant sa fourchette vers la bouche de son jumeau, esquissant un sourire protecteur sous l’œil amusé de Gustav qui faillit s’étouffer avec sa boisson. Bill sourit à son tour mais refusa pour la seconde fois.

- Et puis je vais vous abandonner les gars, parce que je suis mort. Bonne soirée. Et euh Tom, réveille-moi demain matin, je pense que je ne vais pas mettre de réveil.

Il attendit l’approbation du tressé et quitta la pièce pour rejoindre son bus. Une fois à bord, il s’enveloppa dans ses draps, et ne tarda pas à plonger dans un profond sommeil.




Chapitre 1

Bill se réveilla en sursaut. Il faisait nuit noire dehors. 02h37. Il frictionna doucement ses yeux et se leva pour éponger la soif qui le tiraillait. Mais alors qu’il se dirigeait vers la bouteille posée sur son bureau, un violent coup derrière la tête l’assomma et il s’effondra lourdement sur le sol.
Lorsqu’il ouvrit à nouveau les yeux, il était assis sur une chaise, les mains liées dans le dos. Il se trouvait au milieu d’une pièce vide aux parquet et murs rongés par le temps qu’une épaisse couche de poussière laissait deviner. Plusieurs portes semblaient donner sur le reste de l’habitation délabrée. Un ventilateur au plafond diffusait son souffle frais sur son corps engourdi par la douleur. D’imposantes fenêtres plongeaient la salle dans une lumière vive qui indiqua à Bill que le jour était déjà bien avancé. Pas un bruit. Seul le ronflement sourd du ventilateur troublait le pesant silence qui régnait dans la pièce. Réalisant soudain la position dans laquelle il se trouvait, la peur s’empara de lui et sa respiration s’accéléra. Il tenta de défaire ses liens sans succès.

- Hey ! Y’A QUELQU’UN ? A L’AIDE !

Silence.

- TOM ! GUSTAV !

Silence.

- TOOOOOM !

Une porte s’ouvrit, laissant apparaître une mince silhouette féminine qui se rapprocha de Bill.

- Tu as beaucoup dormi ! C’est vrai que tu dors beaucoup …
- C’est quoi ça ? On est où ? Pourquoi je suis attaché ?

La jeune fille se mordit la lèvre inférieure. Elle était mince et semblait plutôt petite. Son visage rond et ses traits enfantins contrastaient avec une voix posée et plus mature. A vue d’oeil, Bill lui aurait donné son âge, peut-être une ou deux années de moins. Dans ce court laps de temps où elle se mordit la lèvre, ses yeux en amande le transpercèrent littéralement.

- Je t’ai attaché pour pas que tu t’enfuies. Et ici, c’est chez nous.

Silence. Rêvait-il ? Ne rêvait-il pas ? Sa réponse semblait tellement absurde qu’il hésita un instant. Mais la brulure insoutenable des cordes sur ses poignets lui paraissait bel et bien réelle.

- TOOOM !
- Je ne sais pas s’il t’entendra. Il est loin maintenant.
- Pourquoi … Le coup … C’est toi qui m’a assommé ?
- Oui. Il le fallait.
- Mais pourquoi ?
- Pour t’emmener chez nous. Pour qu’on soit enfin réunis.

Elle s’approcha de lui et posa une main sur sa joue.

- On va être heureux, tu verras. Juste toi et moi. Ici. Et on sera heureux.

Elle plongea ses yeux dans les siens. Bill fut parcouru d’un frisson. Son regard pourtant clair et posé avait quelque chose d’effrayant. Elle semblait si calme et naïve, comme si elle n’avait pas conscience de la gravité de ce qu’elle venait de faire.

- On est où ?
- Au milieu de nulle part. Comme ça personne ne pourra nous trouver. Et j’ai détruit ton téléphone. Il captait des ondes. Et c’est pas bon les ondes … c’est pas bon les ondes … c’est pas bon les ondes …

Elle s’éloigna en répétant cette dernière phrase, laissant à nouveau Bill seul avec lui-même, vide, sonné, réalisant à peine qu’il venait d’être victime d’un enlèvement par une gamine visiblement dérangée à peine moins âgée que lui. Si elle était seule … En tout cas, lui l’était, attaché à une chaise au milieu d’une pièce vide elle-même au milieu de nulle part, si ce qu’elle disait était vrai. Trop de questions se bousculaient dans ta tête, mais les réponses décousues de l’inconnue l’incitèrent à les garder pour lui, du moins pour le moment.
Elle revint finalement, un verre d’eau à la main, et porta la paille à la bouche de Bill qui s’empressa de boire le contenu.

- Si on est au milieu de nulle part, pourquoi est-ce que tu ne me détaches pas ?
- Parce que tu pourrais te sauver, te perdre dans le désert et mourir. Et si tu meurs, on ne pourra pas être heureux tous les deux.

Etait-ce une impression de déjà vu, ou cette fille répétait-elle sans cesse la même chose ?

L’inconnue passa une grande partie de l’après-midi à faire le ménage dans cette grande pièce vide et à l’habiller de divers mobilier qui meublait les autres pièces, demandant tantôt à Bill s’il préférait la table dans le coin gauche ou le coin droit, tantôt s’il aimait les armoires foncées, prenant soin de lui demander souvent s’il avait soif ou faim, s’empressant de le servir lorsque la réponse était positive.
La nuit tomba très vite dans ce qui ressemblait maintenant à un salon, et l’inconnue revint bientôt avec deux assiettes bien remplies d’un plat dont la délicieuse odeur apaisait Bill. Il la regarda poser son assiette sur la table, juste à côté de lui.

- Je vais t’aider, lui répondit-elle.

Et pour accompagner ses paroles, elle remplit une fourchette qu’elle porta à la bouche du brun. Elle s’appliqua à lui donner avec le plus de douceur possible ce qu’elle lui avait tendrement préparé avant de manger à son tour. Le tout se passa dans un silence de plomb que seul brisa le grincement de la chaise qu’elle poussa pour se lever.
Après avoir ramené la vaisselle dans ce que Bill imagina être la cuisine, elle l’aida à se libérer de la chaise sans défaire ses liens et l’emmena vers la chambre, où trônait un lit à deux places et une imposante armoire à glace. Elle l’allongea sur un côté du lit, éteignit la lumière et vint s’allonger à côté de lui. Elle les couvrit d’un édredon moelleux et se laissa tomber sur son oreiller, son visage à quelques centimètres de celui de Bill.

- Tu dois penser que je suis folle.

Pas de réponse. Oui.

- Tu penses à quoi alors ?

Pas de réponse. A cet instant, Bill ne pensait pas. Ne pensait plus. Il n’existait plus. Son corps était là, mais son esprit semblait s’en être allé.

- A mon frère.
- Je comprends. Mais il t’oubliera tu sais. Un jour, je suis rentrée à l’hôpital. Et au fil des jours, des semaines, des mois, j’ai pensé à ma soeur. Mais elle m’a oubliée. Lentement. Maintenant, je ne sais pas si elle se rappelle de moi. Sûrement pas. Mais je m’en fiche, parce que maintenant que tu es avec moi je vais pouvoir être de nouveau heureuse.

Cette dernière phrase fit tressaillir le jeune homme qui réalisa alors la situation désespérée dans laquelle il se trouvait. Il n’osa pas répondre, et ferma les yeux. Et il ne sait comment, malgré la douleur paralysante parcourant ses épaules jusqu’à ces poignets, il s’endormit.

Bill ouvrit les yeux. Allongé seul dans ce lit de fortune, il se réveilla dans l’exacte position dans laquelle il s’était endormi. Ses mains liées dans son dos l’avaient empêché de bouger et son bras s’était engourdi jusqu’à devenir totalement indolore. Il réussit tant bien que mal à s’extirper du matelas et s’avança vers la pièce principale. L’inconnue était assise à table, les yeux dans le vague. Elle ressemblait à une statue de cire, immobile, le visage songeur et crispé. Ses bras croisés lui faisaient penser à une patiente en hôpital psychiatrique, ce qu’elle devait sûrement avoir été à en croire ses propos de la veille. Gêné par cet immobilisme inquiétant, il marcha vers elle d’un pas plus lourd, et elle sursauta lorsqu’elle l’entendit se rapprocher. Son expression faciale changea du tout au tout, passant d’un air sans vie à un sourire éclatant.

- Bonjour. Bien dormi ? Tu as faim ? Tu veux prendre une douche ?

Elle s’approcha de lui et attrapa son bras dans un mouvement d’une infinie légèreté pour l’emmener vers ce qui s’apparentait à une salle de bain. Elle le fit s’asseoir sur le rebord de la baignoire et humecta un gant de toilette qu’elle passa sur son visage. Bill ne manqua pas de remarquer que ses gestes étaient d’une précision et d’une douceur extrême, et dans d’autres circonstances il aurait trouvé cela délectable.
Il n’avait pas dit un mot depuis son réveil, car son esprit était tout occupé à chercher un moyen de s’enfuir d’ici. Et il avait un plan. Aujourd’hui, il serait libre, sans violence ni obligation, car c’est elle-même qui ferait tout le travail.

- Pourquoi est-ce que tu me laisses cette corde ?
- Parce que tu pourrais te sauver, te perdre dans le désert et mourir. Et si tu meurs, on ne pourra pas être heureux tous les deux.

Une vague impression de déjà vu …

- Oui, mais si tu me la laisse, alors je ne pourrai rien faire, je resterai dépendant de toi et on ne pourra jamais être heureux tous les deux.

Il pria pour qu’elle donne raison à ses paroles. Il jeta un bref silence dans lequel elle lui donna l’impression d’intensément réfléchir. Elle avait à nouveau perdu toute expression faciale, mais son intense regard perdu dans le sien le déstabilisa quelque peu. Un large sourire se dessina finalement sur son visage.

- Tu as raison ! Tu dois être libre. Je ne suis pas un monstre tout de même.

Et pour accompagner ses paroles, elle défit les noeuds et retira la corde. Son premier reflexe fut de masser ses poignets meurtris et brûlés, enfin soulagé de cette douleur en moins. Son visage redevint inexpressif et elle quitta la petite pièce d’un pas rigide, presque robotique.
Il en profita pour fouiller les tiroirs et commodes à la recherche de ce qui pourrait lui être utile. Malheureusement ils étaient pour la plupart vides et pour ne pas attirer l’attention il décida de regagner la cuisine. Pour la première fois il entra dans la pièce qu’il trouva sans surprise aussi dénuée de meubles que les autres. Près de lui, l’inconnue tenait dans la main une multitude de cachets qu’elle avala avec un verre d’eau. Bill feint de ne pas avoir remarqué ce détail mais une fois encore, sa curiosité l’emporta.

- Qu’est-ce que c’est ?
- Mon traitement.
- Ton … Traitement ?
- Schizophrénie bipolaire. C’est pas moi qui le dit. Ce sont les médecins qui le disent. Si je ne prends pas mon traitement, je deviens bizarre. Bizarre comme … Juste bizarre. Tu dois penser que je suis folle.

Oui. Impression de déjà vu.
S’il y avait bien quelque chose que Bill redoutait, c’était la folie. La sienne tout d’abord, car son esprit vif et brillant lui semblait être sa plus grande arme. Celle des autres ensuite, car il savait qu’elle rendait imprévisible, comme il l’avait constaté à maintes reprises lors d’événements durant lesquels il avait été victime de débordements. L’inconnue incarnait parfaitement la folie, et par la même occasion sa peur.

- Aie !

Bill saisit son bras et l’inspecta.

- Un problème ?
- J’ai cru qu’on m’enfonçait une aiguille dans l’avant bras, juste là !

Mais à y regarder à l’endroit où Bill avait maintenant posé son doigt, rien ne paraissait anormal, aucune trace de piqure ni de goutte de sang n’était apparu. Il sentit pourtant son estomac étrangement se remplir.

- Tu as faim ? Demanda-t-elle d'une voix presque automatique.
- Non merci, ça ira.

Il quitta la pièce le plus discrètement possible et se dirigea d’un pas soutenu vers la porte d’entrée. Enfin il allait s’échapper de cette baraque sordide et rentrer là où Tom devait se faire un sang d’encre après s’être aperçu de sa disparition. Il clencha sans bruit la poignée et la porte s’ouvrit à la volée. Un souffle brûlant fouetta son visage et il respira à plein poumons l’air de l’extérieur les yeux fermés, savourant à sa victoire. Puis jugeant que sa satisfaction avait été suffisamment honorée, il ouvrit les yeux, et son visage se décomposa.
Le désert. Alors elle avait raison. Il scruta le paysage qui se déroulait devant lui. Le sable semblait s’étendre sur les quelques kilomètres à la ronde qui entouraient la maison. Il en fit rapidement le tour dans l’espoir d’y trouver un véhicule. Rien. Comment avait-elle pu l’amener ici ? Son coeur se décrocha. Son plan ne s’était pas déroulé comme il l’avait prévu. Sans moyen de locomotion ni de communication, il semblait voué à reposer ici pour le restant de ses jours, ou tout au moins jusqu’à ce que l’inconnue en décide autrement.