[OS] Through the glass

THROUGH THE GLASS
[Through the glass - Stone Sour]

Je ne savais pas trop pourquoi je l’avais suivi. Mais je l’avais fait, presque machinalement. Maintenant, j’étais au bout de cette rue que je ne connaissais pas, à l’observer. Il se tenait immobile devant une petite maison blanche, aux portes et volets marron. La rue était déserte, il n’y avait que lui. Je ne voyais pas entièrement son visage, mais je remarquais dans son attitude qu’il hésitait.
Finalement, il s’avança et sonna. Je vis ses poings se serrer, et ses lèvres se pincer. La porte s’ouvrit. Une jeune femme brune sortit. Le visage fermé, elle salua rapidement son visiteur et le fit entrer, puis elle referma la porte derrière lui.

Après quelques secondes, je me décidai et traversai la rue pour arriver au niveau des fenêtres de la maison mystérieuse. L’une donnait sur une cuisine, l’autre sur le salon. Involontairement et de manière invisible, je m’immisçais dans l’intimité de la maison.

Je voyais la femme brune, dans la cuisine, adossée au comptoir. Elle observait, tout comme moi, la scène qui se déroulait dans le salon. Une scène qui me scotcha.

Il était là, souriant, accroupi. Et il tenait une fillette de même pas dix ans dans ses bras. La fillette riait et entourait son cou de ses petits bras maladroits. Elle se recula et parla. Je crus discerner un mot que je ne m’attendais pas à avoir franchir ses lèvres. Un mot que je n’aurais jamais utilisé pour le qualifier.
« Papa »

Immédiatement, il sourit. De ce sourire franc et spontané que j’aimais tant chez lui. Pourtant, il y avait comme de la tristesse dans ce sourire. Du regret peut-être. Ou simplement étais-je trompée par les reflets sur la vitre de la fenêtre.

De mon côté, j’étais comme pétrifiée. Tom... Papa ? Cela me paraissait si invraisemblable, si irréel. Je n’avais aucun doute sur le fait que la femme dans la cuisine ait un jour attiré l’attention de Tom. Elle était très jolie. Et tout ce qui était joli attirait l’attention de Tom. J’étais toutefois beaucoup plus septique quant au fait qu’il n’ait pas pris ses précautions. Sa vie actuelle n’était pas compatible avec celle d’un père. Une hypothèse probable était un oubli suite à une soirée trop arrosée. Oui, c’était sûrement ça.

Il s’amusait maintenant à la chatouiller et la faire voltiger. Elle riait aux éclats. La femme dans la cuisine vint dans le salon avec un plateau sur lequel trônaient deux tasses de café et un jus d’orange. Et pendant qu’ils buvaient et parlaient, l’image d’une famille m’apparut. Une famille. C’était déconcertant.

Les minutes passèrent, mais au-dehors, le temps paraissait comme suspendu. Depuis combien de temps étais-je là, dans le froid, à voir ce que sans doute je n’aurais jamais dû voir ? Mais il semblait qu’il était temps, puisqu’il se leva et étreignit tendrement la fillette avant de sortir du salon. La femme ouvrit la porte et salua Tom, qui lui lança un dernier sourire. Une fois la porte fermée, il se retourna et se mit à marcher dans la rue, passant tout près de moi qui m’étais rapidement cachée derrière une voiture.

-Tu peux sortir de là, je t’ai vue

Je m’éloignai de ma vulgaire planque et vint marcher à ses côtés. Il avait l’air pensif.

-Comment as-tu su ? demandais-je
-J’ai remarqué ta silhouette à travers la fenêtre.

Silence. Je ne savais trop que dire. Que j’étais désolée de l’avoir suivi ? Je ne savais même pas pourquoi je l’avais fait et si je regrettais. Alors, je me taisais.
-J’avais beaucoup bu ce soir là. Plus que d’habitude.

Silence à nouveau. Je le sentais crispé à côté de moi, mais je ne le regardais pas.

-Elle était là. Belle. Au milieu de la piste. Tu me connais, j’y suis allé. Et je l’ai emmenée dans ma chambre. Et j’ai oublié. J’ai oublié !

Mon hypothèse était donc vérifiée. Mais je n’étais pas sûre d’être pour autant soulagée d’avoir raison.

-Quand elle est revenue quelques semaines plus tard, je pensais, je sais pas, qu’elle en voulait encore ou un truc du genre. Je savais même pas comment elle s’appelait. J’ai tenté de la convaincre d’avorter, ou de faire adopter le bébé. Je pouvais pas avoir de gosse, bordel ! Mais elle voulait à tout prix garder le bébé. C’est ce qu’elle a fait.

Sa voix d’habitude si présente s’effaçait à la fin de ses phrases. Je ne savais trop comment l’interpréter. En tout cas, je n’appréciais pas tellement l’attitude de cette femme. Mais Tom n’était pas tout blanc non plus.
Il reprit.

-J’continue à penser que je ne suis pas prêt pour ça. Mais je prends mes responsabilités, tu vois. Je vais la voir dès que je peux. Elles savent que je ne peux pas être tout le temps là. Mais je fais de mon mieux, comme je peux.

C’était noble de sa part.

-Les autres gars sont au courant. Enfin, toi aussi maintenant. Mais c’est tout. Il ne faut pas que ça se sache davantage.

J’acquiesçais pour lui faire comprendre que c’était entendu.

-Je te trouve courageux. Et mature. Je… Comment s’appelle-t-elle ?

Il pencha la tête et plissa les yeux.

-La fillette.
-Ivannah.

La discussion s’acheva ainsi. J’emportais avec moi son secret, il emportait la promesse de mon silence. Et nous marchâmes jusqu’à l’hôtel, lentement. Nous discutâmes et riâmes, dans le froid, laissant de côté cet épisode particulier.
La vie continuait.